Jeudi, 11 septembre 2025

Chroniques

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L’amnésie politique, ce mal opportun

Le 11 septembre 2025 — Modifié à 11 h 59 min le 11 septembre 2025
Par ROGER LEMAY

Il y a des commissions d’enquête qui éclairent, d’autres qui révèlent… et puis il y a la commission Gallant, qui semble surtout mettre en lumière une étrange épidémie d’amnésie collective.  

Je m’étais pourtant promis d’éviter de regarder et de lire les nouvelles pendant mes vacances, mais ce fut plus fort que moi. Je regarde, parfois en direct, parfois en différé (car tous les témoignages de la commission sont disponibles sur le Web) les invités de la commission répéter comme des moutons qu’ils n’ont pas de souvenir d’avoir vu passer des indices qui les auraient alertés sur les dépassements de coûts honteux du contrat pour la mise en place de SAAQclic. 

Depuis le début des audiences sur le fiasco du projet SAAQclic, les témoignages des ministres, hauts fonctionnaires et dirigeants de la SAAQ se succèdent avec une constance troublante : personne ne se souvient de rien. 

À commencer par François Legault, premier ministre du Québec, qui a affirmé n’avoir été informé des dépassements de coûts qu’en février 2025, lors de la publication du rapport de la Vérificatrice générale. Pourtant, des documents déposés à la commission montrent que son cabinet avait été alerté dès 2023. Geneviève Guilbault, ministre des Transports, a elle aussi découvert « l’ampleur » du problème tardivement, bien que son équipe ait reçu des avertissements clairs deux ans plus tôt. À en croire son témoignage, elle n’a pas le souvenir d’avoir été informée par un mémo pourtant clair que les coûts du contrat devenaient hors de contrôle. 

Quant à François Bonnardel, ancien ministre des Transports, son témoignage pourrait se résumer en un mot : « ignorance ». Il n’aurait pas été mis au courant des dérapages, malgré les signaux d’alarme répétés. Et Éric Caire, ex-ministre de la Cybersécurité et du Numérique, a reconnu avoir été informé dès 2020, mais s’est présenté comme un « spectateur impuissant ».  Caire a reconnu avoir été informé dès 2020 des dépassements de coûts liés au projet SAAQclic et lors de son témoignage, il a dit avoir « assumé ses responsabilités » en démissionnant en février 2025, tout en affirmant n’avoir « rien à se reprocher », sauf de ne pas avoir été assez méfiant… 

Bref on assiste depuis le début à des témoignages pour se protéger, pas pour éclairer. 

Ce qui frappe dans cette série de déclarations, ce n’est pas seulement le manque de mémoire, mais le ton défensif, presque stratégique, des témoins. Chacun semble calibrer ses réponses pour éviter toute responsabilité directe. On ne témoigne pas pour faire la lumière, mais pour se laver les mains. Personne n’a rien vu, rien entendu et ne sait rien. Or, plus j’écoutais les témoignages, plus je me disais qu’il s’agit d’une crise de gouvernance, pas seulement de gestion. 

Les citoyens, qui financent ces projets à coups de centaines de millions de dollars, ont droit à des réponses claires. Comment croire à la bonne foi des institutions quand ceux qui les dirigent se dérobent à toute forme de reddition de comptes ? Le public n’est pas dupe : il voit bien que les témoignages ne visent pas à éclairer, mais à sauver des carrières. 

La commission Gallant ne peut se contenter de recueillir des récits d’oubli. Elle doit exiger des comptes, des explications claires, et surtout, des responsabilités assumées. Car si l’amnésie devient un outil politique, c’est la confiance du public qui s’efface, et cette perte-là, personne ne pourra prétendre ne pas l’avoir vue venir, lors du prochain scrutin provincial. 

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