Avec des tarifs douaniers américains atteignant 45 %, le conflit du bois d’œuvre affecte une large part de l’industrie forestière, tant à petite qu’à grande échelle. Surproduction, inventaires élevés, ralentissement des activités ou pertes d’emploi : les impacts sont bien réels.
Stéphane Gagnon est à la tête du Groupe UniVert, un regroupement des coopératives forestières de Girardville et de Petit Paris, incluant plus de 1000 travailleurs répartis dans diverses filiales.
Sur le plan des opérations forestières, le Groupe UniVert se spécialise dans trois volets : la construction et l’entretien de chemins forestiers, la récolte du bois ainsi que le chargement et le transport vers les usines. En moyenne, plus de 1,2 million de mètres cubes de bois sont récoltés chaque année.
Comme la majorité du secteur, le regroupement subit « de plein fouet » les effets de la crise forestière. « Actuellement, ce qui nous met à mal, c’est vraiment au niveau de la récolte forestière, surtout en raison des taxes. Premièrement, il y a le 35 % lié au conflit du bois d’œuvre. Ensuite, s’ajoute un 10 % supplémentaire que le président américain a ajouté en fonction de paramètres qu’on peut juger bon ou mauvais. Je suis en train de dire que ça tue l’industrie », dit Stéphane Gagnon, également président de la Fédération québécoise des coopératives forestières.
Selon ses observations, les ventes de bois vers les États-Unis ont drastiquement baissées. Si les usines continuent de fonctionner et que les travailleurs poursuivent leurs activités en forêt, les inventaires s’accumulent et les cours se remplissent de façon importante, rapporte Stéphane Gagnon.
Face à cette réalité, certains grands donneurs d’ordre décident de ralentir ou même d’arrêter la production. Le Groupe UniVert ressent directement les contrecoups. Par exemple, la division de Milot a récemment été affectée par des mises à pied.
« Ces arrêts font en sorte qu’on ne va pas juste réduire le chiffre d’affaires, mais réduire l’activité comme telle dans la coopérative. Ça va toucher autant les gens du garage que de l’administration », fait savoir Stéphane Gagnon.
« Quand on a vécu les grands feux, il y a deux étés, les arrêts de production touchaient principalement les employés opérationnels. On n’arrêtait pas nécessairement nos contremaîtres ou nos superviseurs. Aujourd’hui, on met nos superviseurs au chômage. On a des contremaîtres au chômage. On a des techniciens en administration en période d’arrêt. C’est tout le monde. C’est différent et beaucoup plus profond comme situation », poursuit-il.
Actuellement, l’équipe de direction est en mode protection des acquis. « Le premier acquis est l’humain. On veut protéger nos liens actifs et nos liens d’affaires et prendre les meilleures décisions. Il faut rester le moins émotif possible, ce qui est compliqué parce qu’on est impacté. Le gestionnaire en moi souhaite de tout cœur que ça se place », soutient Stéphane Gagnon, en tentant de garder le cap vers l’avenir.
Coup dur pour les PME
Les petites PME n’échappent pas à la crise. C’est le cas de Foremgi, une entreprise de sept employés qui œuvre dans la récolte de bois au nord du Lac-Saint-Jean. Rencontré à son domicile de Dolbeau-Mistassini, lors de la semaine du 20 octobre, Mickael Lamontagne, l’un des actionnaires dirigeants, était en arrêt de travail.
« On a travaillé cinq semaines à partir du mois de mai. On a arrêté le 9 juin. On a fait cinq semaines. On a recommencé à la mi-août. On vient d’arrêter il y a deux semaines », mentionne celui qui travaille du côté de Saint-Ludger-de-Milot pour Rémabec.
Avec 15 années d’expérience dans le secteur forestier, Mickael Lamontagne traverse sa première crise dans le milieu. « Dans les 10 dernières années, on arrêtait au printemps de trois à quatre semaines. Si on avait voulu, on aurait pu continuer.»
« Cette année, parti comme c’est là, on va travailler 25 semaines. On est loin de 40 quelques », souligne-t-il.
Pour le moment, les employés de Foremgi sont au chômage et Mickael Lamontagne espère pouvoir les retrouver tous lorsque les activités reprendront le 17 novembre, et ce, jusqu’à une durée indéterminée.
La main-d’œuvre qualifiée se fait rare dans le secteur forestier, en particulier pour les postes d’opérateurs de transporteurs et d’abatteuses, indique l’autre actionnaire dirigeant Gilles Boulianne. Les travailleurs expérimentés sont recherchés par les entreprises rémunérées à la production, ce qui rend chaque départ difficile à encaisser.
Alliance forêt boréale se prononce
Invité à réagir, le président d’Alliance forêt boréale Yanick Baillargeon a le même son de cloche : « C’est clair que l’industrie et les communautés forestières ne vont pas bien ».
Dans ce contexte déjà fragile, l’abandon récent du projet de loi 97 vient, selon lui, aggraver davantage les difficultés du secteur. Il aurait souhaité que le gouvernement provincial propose certains assouplissements au régime actuel afin de soutenir les acteurs du milieu.
Alliance forêt boréale veut faire entendre sa voix. « On veut lancer le message que les communautés forestières sont là pour rester, en mentionnant aux deux gouvernements, provincial et fédéral, qu’on a besoin d’avoir des opportunités. On a besoin de sentir que ces gens-là s’occupent de nous, qu’ils ont conscience de la problématique qu’on affronte actuellement. »
Yanick Baillargeon termine en rappelant que la filière forestière représente une richesse collective, tant sur le plan écologique qu’économique. « C’est une ressource renouvelable et inestimable. On n’en prend pas soin actuellement. C’est un non-sens. »