Chronique
On a longtemps cru que les questions internationales ne devaient relever que des États nationaux. Il n’était pas question, par exemple, que des municipalités puissent se mêler des grandes questions internationales. Elles devaient se contenter de s’occuper de ce qui était strictement local. Curieusement, les États centraux ne se sont jamais gênés de faire de lois qui devaient être appliquées localement, et ce sans aucune consultation, tout en ayant des conséquences importantes sur le milieu.
À la suite des deux grandes guerres mondiales, la plupart des États ont convenu qu’il devait y avoir une organisation internationale qui devait être mise en place pour veiller à ce que pareilles boucheries ne se reproduisent plus. Tant par le nombre de morts, de blessés graves, que les destructions massives de bâtiments, de territoires et de ressources financières, la planète ne pouvait plus se payer de pareils carnages.
Mise en place par des idéalistes sérieux, l’ONU devait devenir le chien de garde de l’humanité contre la barbarie. Une Déclaration universelle des droits de l’homme fut adoptée, garantissant à tous et à toutes des droits et libertés fondamentaux devant les protéger de l’ignominie, de la violence et de l’arbitraire. Chacun des pays adhérant à l’ONU devait faire sienne cette déclaration et s’en inspirer dans la rédaction de leur propre Constitution et des droits et libertés y étant associés.
En principe, tout devait bien aller. Mais en réalité, ce fut tout autre chose. On s’est mis à accepter des dictatures, qui n’avaient aucune intention de respecter la Déclaration universelle des droits de l’homme. On l’a fait en se disant qu’il valait mieux qu’elles soient à l’intérieur, qu’à l’extérieur. On a même suggéré qu’en côtoyant des pays démocratiques, elles se démocratiseraient progressivement. Il suffisait d’être patient. On a vu également le même genre d’attitude de la part du Comité international olympique, qui ne cesse d’octroyer les Jeux olympiques à des dictatures en essayant de nous convaincre que c’est la meilleure façon de les rendre démocratiques. Encore récemment, on a accordé au Qatar la Coupe du monde soccer. Une fois de plus, les jeux et la distraction ont pesé plus forts que les droits humains.
Il y a, en 2023, plus de pays à l’ONU qui sont à consonance dictatoriale, que de démocraties. On est plus près d’une troisième guerre mondiale qu’on ne l’a jamais été et chacune des dictatures à qui l’on a accordé des Jeux olympiques est encore pire qu’avant.
À ne pas en douter, la démocratie et la survie de la planète sont en péril et ce n’est pas les supposées grandes démocraties, comme les États-Unis, le Canada, la France ou le Brésil, qui vont la sauver. Ça va prendre un ou plutôt, plusieurs frappeurs de relève parce que les grands États sont incapables ou ne veulent pas vraiment gérer des problèmes comme la lutte aux changements climatiques et assurer la sécurité de leur population. Alors qu’on aurait pu croire que nous allions démilitariser nos économies afin de pouvoir investir davantage dans des domaines plus humains, comme la santé, l’éducation et l’environnement, il semble qu’il va falloir consacrer des sommes de plus en plus phénoménales en armement de toutes sortes pour assurer notre sécurité. Avec la guerre en Ukraine et les divers conflits « régionaux » alimentés par des dictatures de plus en plus nombreuses, la facture de destruction ne cessera d’augmenter, dilapidant les ressources pour une société plus humaine.
Au moment où les grands États sont quasi KO, nos meilleurs, sinon les seuls, frappeurs de relève pourraient bien être les municipalités, qui sont les plus près de nos populations. Elles pourraient jouer un rôle de plus en plus important en ce qui regarde la paix et la solidarité internationale. Il faudrait alors inverser le processus qui débouche sur une guerre. Aujourd’hui, n’importe lequel dictateur peut entrainer sa population dans une guerre sans qu’elle n’ait eu aucun mot à dire. Il nous faut trouver des moyens de bloquer ces malades qui peuvent détruire en quelques semaines, ce que des millions de personnes avaient construit sur plusieurs générations. Actuellement, il y a une association internationale des Maires pour la paix, qui regroupe 6 000 municipalités de 160 pays. Peut-on penser que dans l’avenir, la guerre soit de responsabilité locale? Peut-on penser que, pour qu’un chef d’État, quel qu’il soit, puisse déclencher une guerre, il faudrait qu’elle ait été demandée par plus de 75% des municipalités de cet État? J’aurais aimé vous dire qu’on devrait tout simplement l’interdire, mais c’est ce qui devait être le rôle principal de l’ONU et elle a échoué. Il vaut sans doute mieux l’encadrer différemment.
Certains diront que c’est totalement idéaliste et ils auront raison. C’est idéaliste et c’est très bien, parce qu’actuellement, ce qui nous manque le plus : c’est d’idéal. Ils diront que face à un ou de possibles conflits mondiaux, on n’aura pas le choix : « aux grands maux, de grands moyens » et qu’on devra remettre à plus tard la lutte aux changements climatiques, afin de s’armer de plus en plus. Je leur réponds plutôt : « aux grands maux, les petits moyens », dans le sens qu’il vaut mieux rechercher des moyens peu coûteux, si l’on veut pouvoir s’occuper des autres grands défis que nous avons. J’ai toujours cru que lorsqu’on manque de moyens, on devrait toujours prioriser les solutions qui ne coûtent rien ou presque. Est-ce que ça veut dire qu’il faut cesser tout investissement dans l’armement? Bien sûr que non. Il faut combiner idéalisme et lucidité. Rien ne nous empêche de faire avancer les deux en même temps, en espérant que la solution pacifiste prenne la relève de la trop coûteuse barbarie. Il faut garder en tête que nourrir la planète coûterait beaucoup moins cher que de la bombarder. Le monde nouveau doit commencer avant que l’ancien ne soit terminé.
Avec les moyens de communication que nous avons, convaincre un grand nombre de municipalités un peu partout sur la planète d’adhérer à une telle idée ne coûterait presque rien, n’entrainerait aucune destruction de ressources ou d’immobilisations. Il me semble que ça vaudrait la peine d’être essayé. À ceux et à celles qui diront que c’est impossible, je répondrai que ce qui est impossible, c’est de continuer comme nous sommes partis. On l’a vu, nos grandes organisations internationales ont failli à la tâche de préserver la démocratie et la paix.
Place donc, aux démocraties locales qui légitimement peuvent lutter contre la centralisation extrême des dictateurs. Ce sont elles également qui devraient jouer un plus grand rôle dans l’immigration, car, si les immigrants et immigrantes arrivent dans un pays, ce sont dans des municipalités qu’ils et elles vont vivre, travailler et s’impliquer.
La centralisation, même dans les démocraties, coûte très cher et est inefficace. Est-ce que la décentralisation réglera tout? Bien sûr que non et elle aura elle aussi un coût. Il n’en demeure pas moins que nous avons le devoir de redonner du pouvoir aux citoyens et citoyennes en décentralisant et en responsabilisant. Il nous faut inventer un nouveau modèle politique adapté à notre réalité et à nos problèmes. Ce nouveau modèle ne viendra pas tout seul. Il faut être conscient que nos gouvernements, tant à Québec qu’à Ottawa, vont tout faire pour conserver la centralisation des pouvoirs qui les sert très bien. Ce sera à nous, au local et au régional, de nous mobiliser pour reprendre le contrôle de notre développement. Si nous le voulons, l’avenir de notre démocratie sera davantage local et international. C’est ainsi que nous pourrons bâtir un monde meilleur, tant ici qu’ailleurs. Car s’il est important de nous rapprocher du pouvoir tant localement que régionalement, il faut également que chacun et chacune de nous soit au moins un peu citoyen ou citoyenne du monde. Dans notre situation de privilégiés, nous avons tous et toutes aussi une part de responsabilité et de solidarité sur ce qui se passe à l’international.
Qui sait, si nous y croyons et surtout si nous nous y engageons, peut-être serons-nous un jour prochain, des membres de la future République universelle des villes et villages démocratiques et pacifiques.